Region's legends
La sorcière de l?Eglise de Saint Malo à Mortagne.
C?était, comme le veut la coutume, quand la lune est gibbeuse que grand Satan s?en allait visiter ses sorcières. Il apparut ainsi par la nuitée à Dame Chouchoute, sorcière de son état, qui était sortie quérir mandragore pour grand sabbat avec sa chatte Malbête. Salut à toi, ! sorcière ! Tu m?as toujours servi, ton âme est à moi. Je veux, comme tu sais, carnage de mort et désolation en terre de saint Malo, l?un des sept saints de Bretagne. Tu me serviras encore en détruisant ce Mortagne qu?il protège. Fais comme tu l?entends, mais que l?on en finisse avant fenaison. Sers-toi des huguenots, si d?aventure tes sorts te font défaut. Je reviendrais après la lune pleine pour constater ton ouvrage.
Au diable, sorcière ! Et il disparut dans son ricanement.
Chouchoute, éberluée, pensa qu?enfin son heure était arrivée, le moment de sa vengeance tout proche. Depuis le temps que dans la basse ville on lui lançait pierres et souches de bois mort, qu?elle avait dû éloigner du bourg sa cabane et qu?aucun bon chrétien ne lui disait mots en se signant à son arrivée !
À Verneuil, ils étaient parpaillots depuis belle lurette et le commandant ligueur se rangerait à son avis car il voulait propager sa foi coûte que coûte et de ce fait elle échafauda un plan en un éclair.
Elle verrait le capitaine, comte de Medavy, qui gouvernait Verneuil et lui livrerait sournoisement Mortagne par l?entremise des quelques huguenots de la garnison qu?elle ferait trahir.
Il lui fallait une entrevue et un endroit que nul ne pourrait savoir. Elle pensa aux terres noires sur la route du levant, là où les taillis et les broussailles font tels entrelacs que même bêtes sauvages ne peuvent y traverser sans se déchirer la couenne. Et comme son lieutenant La Morandière, querelleur et batailleur, ayant toujours comptes à régler avec quiconque élevait autours, crécerelles et hobereaux, elle revêtirait sa forme première ? la chouette ? et l?on tiendrait de concert le langage des oiseaux.
Ce qui fut dit fut fait, elle eut une entrevue avec le lieutenant au lieu dit et lui dévoila son plan de bataille et la date.
La Chouchoute
La garnison de Mortagne et son gouverneur, bons chrétiens et fidèles au bon roi Henry, virent arriver aux alentours du 13 juillet 1422 une petite armée de fantassins, mousquetaires et arquebusiers qui ravagea la ville basse mais ne put entrer dans la citadelle. Chouchoute avait même prit soin de marquer de chaux vive celle où demeuraient les villageois devant être violentés et égorgés par sa vengeance. N?ayant pu saisir la ville haute dans ce terrible fait d?armes, la paroisse de saint Malo fut épargnée et pour ne point contrarier le diable qui l?avait ordonnancé, elle dut remettre ça à un peu plus tard avec beaucoup plus de troupes procurées par le seigneur baron capitaine de Medavy, gouverneur de Verneuil, et son terrible lieutenant rouleur et massacreur, Jacques Demoutis de la Morandière, qui tinrent en personne à en présider l?exécution trois jours après avec près de deux mille hommes et de l?artillerie. Mais Pierre de Fontenay, gouverneur du Perche, tenait sa ville et lorsqu?il vit arriver ces soudards ligueurs au cri de la chouette il était fin prêt.
Sa population, excédée des maléfices et des sortilèges de Chouchoute, se battit vaillamment, repoussa les assauts jusqu?aux confins de la ville haute pourtant éventrée, y défendit son église de saint Malo grâce à vingt-huit villageois qui firent remparts de leur corps et prirent même de nombreux oriflammes à l?ennemi. Medavy, craignant que son artillerie n?avertît les troupes royales qui croisaient dans la région, décida de la faire taire et de fuir, laissant même son fils mort sur le carreau. Chouchoute, qui avait raté son coup de main et déçu son maître, fut prise de grande frayeur et tremblement, sa peau devint bistre, ses os se brisèrent et elle se consuma de terreur.
Les gens d?armes qui pénétrèrent dans sa cahute n?en virent qu?une fumée noire. En fait, le grand Satan l?avait emmenée en enfer où elle subirait éternellement ce que les hommes n?avaient eu le loisir de lui donner, c?est-à-dire d?être dévorée vive par les flammes sans pouvoir boire de la bonne bière fraîche. À la lumière des textes immémoriaux que grignotent dans l?inconfort de leurs abbayes des armées de clercs de scribes et de copistes, nul ne peut affirmer que l?on soit revenu des enfers. Le diable ne lâche jamais sa proie, c?est une indéniable vérité première.
Pourtant dans l?arrière salle de la taverne Belzébuth où rôtissent des créatures de toute sortes à l?ombre des pendus, Dame Chouchoute la bonne élève en repentir écoute le grand Satan devant un pichet de cervoise tiède. Quel est donc ce breuvage dont la saveur est si étrangère à sa couleur et à son flacon?
L?on dit qu?il provient de brasseurs de Moulin, chuchote t?elle à son Maître Ah ! ah ! que nenni il s?agit d?alchimie d?avenir, de minusculerie parfumée et de métaux lourds, je ne reconnais point là le goût de l?eau claire et la tourbe des étangs du Perche. Je ne veux point de ceci, sorcière pour mes bacchanales de nouvelle lune. Tu m?as courroucé de nouveau ! Hors de ma vue! Qu?on la plonge éternellement avec sa Malbête dans la naphte fumante.
Pitié mon Maître je saurais vous servir et vous donnerais bonne bière je connais grande recette et formule secrète. Permettez d?aller quérir tout ceci au nouveau monde à Salem où habiles faiseuses de ma profession par moi-même instruites de bières rustiques au goût antique vous raviront grand maître. Soit répondit le malin mais que ton breuvage ait le goût qu?il me convient, je t?arrangerais le parcours. Maintenant disparaît et ne reviens qu?avec notre affaire! Elle disparut à l?instant et le grand Satan ravi alla quérir par diablerie première le prévôt de Mortagne, homme influençable afin de l?instruire de ses volontés.
Je veux qu?à Mortagne le jour de saint Malo soit journée de bière à mon goût et il l?enquit de l?affaire. Fais, vois pape et monarque si il faut, si tu ne veux point goûter pal au feu bien rougi et naphte brulante. Le bonhomme gras et rougeaud ne se le fit pas répéter et se mit en demeure, plus coupe-jarret que fin stratège il prétexta au bailli quelconque tromperie afin de se faire remplacer à sa charge et de courir par vaux et bocages pour asseoir l?affaire du diable en temps et en heure.
Le Bailli de Mortagne avait reçu émissaire du roi l?avertissant de l?arrivée d?un grand capitaine en secrète mission le jour de la saint Malo avec de nombreuses troupes et lui demandant de leur assurer campement et vivres de bouche mais l?on ne savait pas le nombre des compagnies car elles pouvaient être jointes par d?autres arborant la bannière pontificale, c?était dire comment la chose était prise au sérieux. Des messes chantées devaient aussi être célébrées tous les jours matin et soir tant la fortune de la fête paraissait grande. Le reliquaire de saint Malo trônait en beau milieu du grand autel de l?église et tous les oriflammes disponibles battaient au vent de la grand place. Le guet avait revêtu ses uniformes de cérémonie aux nouvelles armes de la cité, une chopine d?or vif sur fond d?or pâle. Seul le prévôt manquait et le Bailli le maudissait car sa tâche s?en trouvait grandement augmentée. Certains seigneurs des environs étaient arrivés à la tête de leurs gens d?armes à la recherche de quelques combats où ils pourraient se faire remarquer dans la querelle et y trouver petite gloire La foire et le grand marché devait finir d?y être installé ainsi qu?un grand parvis pour que bateleurs, jongleurs et comédiens de mystères puissent s?y montrer.
Un gibet aussi attendait pouvant distraire et faire patienter dans le calme la grande foule qui ne cessait d augmenter. Les hôtelleries et les auberges s?emplissaient sans discontinuer et on avait aussi prévu des larges tentes pour pouvoir loger l?affuence de visiteurs. Il y avait longtemps que les abbayes et monastères des environs ne pouvaient plus héberger sans gêner la règle. L?évêché même accueillait dans ses écuries. La fête de saint Malo était ainsi que l?avait fait remarquer l?astrologue de la grande abbaye qui était réputé dans le monde des érudits pour l exactitude de ses observations, se trouvaient en phase avec une lune pleine d?une grandeur jamais observée. Le vicaire en redoutait les effets dans cette région où Le paganisme n?avait jamais pu être éradiqué car protégé par les immenses forêts et marais où personne ne pénétrait jamais non seulement par crainte des lieux mais parce que l?on ne savait en sortir. En plus le comté voisin qui avait épousé le culte de la réforme était toujours menaçant et n?avait de cesse de vouloir imposer ses idées avec des partisans toujours plus exaltés.
Texte de Mr. Dominique Riquet.